Sur certaines routes, les camions et cars sans papiers conformes circulent sans ennui. A condition de payer aux agents de la police, sans trace, et à chaque passage, un montant connu des deux parties. Et pourtant la loi punit de lourdes peines les corrupteurs et les corrompus.
Pour les transporteurs par car de la ligne Bafang-Nkondjock, plus besoin du coup de sifflet d’un policier pour s’arrêter aux barrières de police. Chaque conducteur s’y gare automatiquement à chaque fois et reste au volant de son véhicule. Le convoyeur descend, tenant en main le dossier des pièces du véhicule, dossier dans lequel il a pris soin de dissimuler quelques billets de banque. Il se dirige vers l’un des policiers et le lui tend. L’agent y jette un coup d’œil furtif, récupère l’argent et le tour est joué. Tacitement admis par les deux parties, le montant de la transaction varie entre 1 000 et 2 000 F cfa. « On paie parfois plus, entre 2000 et 15000 F, en fonction du tonnage. Tout dépend aussi de l’humeur des gendarmes ou des policiers», fait remarquer Olivier, un transporteur de cacao et de café. A en croire des responsables de coopératives, sur le parcours Bafang-Nkondjock, ce montant varie entre 5 000 F pour les camions de 5 à 15 tonnes et 10 000 F pour les camions de 35 tonnes.
Sur les routes nationales bitumées, les pratiques sont les mêmes. Il faut payer pour passer chaque poste de contrôle. « Ici, il n’y a pas de contrôle véritable sur la régularité des papiers du véhicule. Ce qui importe, c’est l’argent versé et nous avons déjà négocié les montants», explique Hervé Tchangou, un convoyeur de car. 300 F Cfa à tout barrage de police et 500 Fcfa aux gendarmes.
Coûts prohibitifs des pièces
L’occasion faisant le larron, de nombreux usagers de la route ne s’encombrent plus de pièces conformes. « On va faire comment ? Puisque quand les dossiers sont complets, on doit payer ; Quand ce n’est pas le cas, on paie toujours », justifie un chauffeur de la ligne Bafang-Bakou. Les propriétaires de véhicules justifient cet incivisme par les nombreuses tracasseries qui seraient encouragées par l’administration. « J’ai tous les papiers mais à chaque fois, mon chauffeur est embêté sur la route par les agents de contrôle placés par l’administration. Alors que c’est eux qui font ces papiers. Parfois, on dit que c’est la patente qui n’est pas bonne, tantôt il faut ceci, il faut cela», dénonce Monique Endjeu, propriétaire de taxi.
Pour circuler sur les routes locales, un car de transport doit présenter une vignette, un certificat de visite technique, une assurance, une licence de transport et une patente. Des pièces dont l’établissement s’élève à environ 300.000 F, lesquelles doivent être régulièrement mises à jour. Du coup, certains propriétaires de véhicules dénoncent leurs coûts prohibitifs et préfèrent corrompre pour circuler. « Dans notre métier, on est obligé de donner un peu de sou aux policiers. Nous n’avons pas beaucoup d’argent pour mettre nos voitures en règle. Les pièces coûtent trop cher. On préfère donner un peu d’argent aux policiers et gendarmes, comme ça, ils nous laissent circuler librement », confirme sous anonymat un propriétaire de car.
Une situation qui arrange les conducteurs de car et leurs convoyeurs qui, mal payés, en profitent pour augmenter leurs revenus. Ils n’hésitent donc plus à retenir à chaque fois une partie de la recette et font croire au patron qu’elle a servi à corrompre. « Nos patrons ne nous payent pas bien. Pareil pour les policiers et gendarmes qui, eux aussi, ne sont pas bien payés. Donc ici, on s’arrange avec eux, et chaque partie y trouve son compte, on trouve l’argent de la “popote”. L’affaire des policiers et nous, il faut la laisser comme ça », propose Alphonse, un chauffeur.
La loi punit corrupteurs et corrompus
“Chacun broute là où on l’attache”, conseille un inspecteur de police qui soutient en avoir fait sa maxime à la suite d’une déception. Il soutient avoir interpellé un jour un trafiquant de cannabis qui lui proposait jusqu’à 1 million de Francs cfa pour être libre. Ce qu’il avait refusé et confié le prévenu à sa hiérarchie. « Le lendemain, je n’ai plus retrouvé celui-ci et mon supérieur m’a remis 100 000 F en guise d’encouragement. J’ai appris plus tard par un ami que le trafiquant avait été libéré par mes supérieurs en échange de la somme de trois millions de Francs. Tous nos patrons sont dans le système et finalement chacun se débrouille », soutient le policier.
La loi punit ces actes et plus sévèrement les fonctionnaires. «Tout fonctionnaire ou agent public auteur ou co-auteur de corruption est poursuivi conformément à l’article 134 du code pénal : – 5 à 10 ans d’emprisonnement et une amende de 200.000 à 2.000.000 de F ; – 1 à 5 ans et une amende de 100.000 à 1.000.000 de F si l’acte de corruption a été facilité par sa fonction », soutient le juriste Wantou. Transporteurs et policiers risquent donc gros. Mais qui va dénoncer qui puisqu’il s’agit d’un « partenariat gagnant-gagnant ».
Léopold Junior Ngueko (JADE)
Focal: L’article 134 du code pénal réprime la corruption
Le Code pénal camerounais est, à en croire Me Wantou, juriste à Bafang, le cadre juridique par excellence de lutte contre la corruption. «La corruption est un comportement pénalement incriminé par lequel sont sollicités, agréés ou reçus des offres, promesses, dons ou présents, à des fins d’accomplissement ou d’abstention d’un acte, d’obtention de faveurs ou d’avantages particuliers », explique le juriste. L’article 134 du code pénal sanctionne sévèrement les actes de corruption. Il stipule ainsi en son Alinéa 1 qu’« est puni d’un emprisonnement de 5 à 10 ans et d’une amende de 200.000 F à 2 millions de F, tout fonctionnaire ou agent public qui pour lui-même ou pour un tiers, sollicite, agrée ou reçoit des offres, promesses, dons ou présents pour faire, s’abstenir de faire ou ajourner un acte de sa fonction ». L’alinéa 2 précise que « l’emprisonnement est de 1 à 5 ans et l’amende de 100.000 à 1.000.000 de F si l’acte n’entrait pas dans les attributions de la personne corrompue, mais a été cependant facilité par sa fonction». Dans la même lancée, l’Alinéa 3 «punit des peines prévues à l’alinéa 2 précédent, tout fonctionnaire ou agent public qui sollicite ou accepte une rétribution en espèce ou en nature pour lui-même ou pour un tiers en rémunération d’un acte déjà accompli ou une abstention passée ».
L.J.N (Jade)